• CLAIRE, LE MALHEUR

  • TE VA SI BIEN

Théâtre - 1 femme - 1 homme

Une femme un homme

Claire, directrice de bijouterie, enchaîne les échecs sentimentaux et ne croit qu’au travail dans lequel elle se réfugie. Elle s’est une nouvelle fois fait poser un lapin par un garçon qu’elle connaissait à peine. Déçue, malgré l’heure tardive, après quelques verres, elle regagne sa bijouterie, enfreignant les consignes, elle désactive les sécurités prétendant vouloir profiter du calme de la nuit pour s'avancer dans son travail. Or dans le même temps un ex-taulard qui s’est fait jeter d’un bar circule devant la bijouterie et décide d’en forcer l’entrée. Plutôt que d’appeler la police, Claire lui ouvre.

Ce texte avait été préfacé par Serge Avédikian

 

« Claire, le malheur te va si bien » de Claude Cognard

 

Lecture de Plume –

 

 

Claire, jeune femme responsable d’une bijouterie, malheureuse en amour, se réfugie dans le travail. C’est ainsi, qu’au mépris des consignes, elle désactive les sécurités de son magasin dans lequel elle décide d’y passer une nuit à ordonner ses dossiers. Franck, un jeune ex-taulard, est quant à lui résolu à braquer cette bijouterie, insolemment allumée à une heure indue, comme une invite. Les fenêtres sont blindées. Claire pourrait appeler aussitôt la police et se débarrasser sans péril du malfaiteur. Or, fuyant la solitude qui la ronge, elle le laisse entrer sans réticence. Tout les oppose. Le danger guette. Pourtant, ces deux là cherchent à se connaître, refont le monde, leurs souvenirs et leurs biographies. Et puis, ils s’éclairent mutuellement dans la nuit de leur vécu. Rien ne se présente comme attendu. Les personnages, les répliques, les actes ne sont que rebondissements permanents. C’est la casse perpendiculaire contre la quiétude du cercle ! Du reste, lorsque le dénouement semble se ranger à une linéarité inespérée, la chute, vrai coup de théâtre, nous place à nouveau à la croisée des possibles avec son cortège d’accidents. Ce que deviennent Claire et Franck est abandonné à la duplicité de l’aperception. Ce texte pose avant tout la question de l’emprise d’un réel douloureux sur l’individu et se demande comment l’homme, ligoté dans la gangue des contingences, peut dégainer sa personnalité plutôt qu’une arme à feu.

Personnalité

Claire et Franck ont deux personnalités opposées. Elle est jolie, bien coiffée, ne manque pécuniairement de rien, travailleuse, féminine, fragile. Il est cagoulé, braqueur, brutal, agressif. Il est délinquant, elle est appliquée, conformiste. Curieusement, la crapule et la délicate, en faisant montre de leurs vrais caractères dans une telle situation, inversent pourtant la donne. Là où Franck fait preuve d’un humour hésitant, Claire répond par un cynisme déroutant. Si le braqueur est menaçant, c’est cependant la victime qui le harcèle. Elle baigne dans la richesse. Il erre dans la rue. Il possède une arme, elle est désarmante. Il veut le coffre, elle lui « avance » le tiroir caisse. Il sait séduire, il connaît les femmes. Elle fait fuir les hommes, ne sait rien de leurs codes. Elle cherche un homme dans le seul but de faire l’amour. Il souhaite une belle histoire authentique. Elle est pendue au téléphone et aux réactions de ses amies. Il se ferait pendre pour survivre libre de toutes technologies et contraintes. Bref, tout le contraire de leur apparence. Quel est donc le moteur de ces comportements ?

Personne alitée

Le lit est une discussion récurrente dans ce couple improbable. Si Claire et Franck vont s’allonger dans le même lit, ils vont surtout tenter au réveil, comme sur la défensive ressentie par certains sur un divan, de justifier leurs faits et gestes. L’un se souviendra de sa magnifique nuit d’amour, l’autre déduira simplement, à sa nudité, une promiscuité ambiguë. Franck explique à sa façon que son attitude générale est la résultante d’une disproportion de condamnations. Un feu rouge grillé, par exemple, lui vaudra une peine ferme d’emprisonnement. De cette vérité légèrement tronquée, une série de petits délits lui attireront les foudres de la justice et il accumule donc une expérience non négligeable de la prison. Il fait sauter les barreaux, mais recherche véritablement l’amour et l’apaisement. Claire se dit malade, dépressive et fait preuve d’une indifférence totale au révolver pointé sur elle à plusieurs reprises par Franck, précisant que ce serait lui « rendre service » que de l’éliminer. Ses barreaux sont intérieurs, elle se contente de l’éphémère. Tous deux arborent leur destin blessé. Ils partagent un désir physique nuancé, mais par dessus tout, ils partagent l’envie de l’arme à feu, l’un pour en finir avec le dénuement, l’autre pour en finir avec la vie. Mais ils ne sont pas au bout de leurs révélations. Et ces personnes, provisoirement alitées, vont progressivement se « remettre debout », retrouver un instant leur dignité, par le prodigieux pouvoir d’une confidence profonde et réactive.

…Perd son « alyté »

Ainsi, par une sorte de maïeutique innovante car simultanée, puisqu’elle fait fi de la découverte en sens unique, chacun ouvre à l’autre le champ de son identité. Les talons d’Achille sont mis au jour. Un père tué pendant un braquage, et une mère sans amour, qui a « vendu » sa fille avec la bijouterie, pour Claire. Un père inconnu, et une mère pauvre, courageuse, mais interdite de parloir par son propre fils, pour Franck. L’emprise du réel sur les deux personnages est donc bien plus terrible que ne le laissent deviner leurs propos spontanés. Tous deux souffrent de rupture familiale, de carences primitives et primordiales, d’absences insupportables. Après ces aveux aux forceps, beaucoup de tendresse peut alors s’exprimer et l’un persuade l’autre de renouer avec ce qu’il reste des siens et avec lui-même. L’auteur nous donne une piste judicieusement fictive, pour se délivrer de l’emprise malsaine du réel, à savoir : en passer précisément par l’imaginaire. Il fait souvent référence au conte de fées, par exemple (Claire et Franck, ou la Belle et la Bête, entre autres). Bien plus, le conte étant sublimé dans ce texte, le recours à l’imaginaire est accru par le phantasme. Et l’on sait que le phantasme libère, aide à se construire, permet de vivre (Claire a-t-elle fantasmé tout cela pour survivre ?). Le fait est que dans bon nombre de contes merveilleux, il y a la fée mais aussi le crapaud. Il existe dans la nature un crapaud, nommé « crapaud accoucheur » ou encore « l’Alyte ». Celui-ci, après la ponte de la femelle et avant que la masse des œufs ne se solidifie, y plonge ses pattes postérieures. Il se retrouve donc avec des petits colliers d’œufs autour des chevilles, d’où son nom (« alutos » en grec signifiant « enchaîné »). C’est lui ensuite qui fera éclore les petits, en lâchant ses « chevillières » dans un point d’eau, celui-là même où il est né…. On pourrait dire que symboliquement, il finalise l’accouchement en se délivrant de ses « chaines » ovoïdes. Ici, Claire et Franck sont tous deux le crapaud accoucheur de l’autre. Je me suis laissé dire que l’Alyte composait un chant mélancolique, bouche fermée, pour séduire la femelle. Il devait auparavant avoir gobé une bulle d’air qui, se propageant dans son organisme, produisait ce son.

Quelle que soit la fin de cette pièce, qu’on ne dévoilera pas, on peut souligner que Claude Cognard nous offre cette vision du tendre sous la « crapaud attitude ». Puisse l’homme perdre son « alyté », saisir sa bulle au vol, se faire orpailleur de l’infime pour approcher l’amour, et se délivrer lui-même en libérant l’autre de tous les barreaux qui briment sa vraie présence au monde.

Un théâtre percutant, effronté, heurté, au service d’une quête émouvante.

Claire, le malheur te va si bien
De Claude Cognard

Éditions Durand Peyroles
3 rue du Logis, 85200 Bourneau
www.editions-dp.com

 
La pièce explore les thèmes du malheur, de la solitude et de la rédemption, tout en mettant en lumière les choix et les rencontres qui peuvent changer le cours de nos vies. Le texte offre une tension dramatique entre ces deux protagonistes, mêlant humour, suspense et émotion.